3.7.11

Hollbrook / Sedona - 17 juillet




Petit-déjeuner express - avec l'éternelle employée qui passe le balai sous nos chaises.

Je réserve l'hôtel à Sedona où nous ferons étape ce soir. J'ai hâte d'y être: lors d'un précédent voyage aux Etats-Unis, à l'occasion d'une rencontre du compositeur Elmer Bernstein (Les sept mercenaires, The misfits, Ghostbusters...), j'avais découvert cette ville incroyable où je finirai bien par me poser  un jour. Il existe peu d'endroit où la lumière fait vibrer votre âme comme c'est le cas à Sedona. Il en sera souvent question dans BLACK COFFEE puisque j'y installe le personne principal du roman Desmond G. Blur. D'abord indifférent aux beautés émouvantes de ce site, il cède progressivement au chant des roches rouges.

Nous reprenons l'I-40 (laquelle se confond avec la route 66), suivons scrupuleusement le tracé et les étapes recommandées par le guide. Nous sortons donc régulièrement de l'autoroute pour y retourner cinq minutes plus tard après avoir pris les photos d'usage. Ce sont de vrais repérages pour moi, et cela va nourrir la longue liste de scènes de crimes en prévision pour mon cher tueur (dont je n'ai pas encore élaboré le profil).

Nous laissons de côté Meteor Crater et ses merveilles (dehors, le revêtement est brûlant, les bagages dans le coffre cuisent comme dans une cocotte-minute, pas question d'arpenter le site en plein soleil).

Nous passons la ville fantôme de Two Guns - d'après la légende, Two Guns serait le nom d'un Apache. Twin Arrows et son trading post, avec les 2 flèches plantées dans le sol, pose devant notre appareil photo, indifférent à l'orage qui menace. Ce trading post était, à l'époque glorieuse de la route 66, une halte bienvenue pour les voyageurs. Fermé en 1990 - d'après le guide.




Nous suivons la route, le plus ancien tracé de la 66 qui traverse Padre Canyon. Fin des plaines désertiques. Le passage du pont de Padre Canyon fut à son époque un des plus dangereux. J'en ferai mon beurre, le transformant en scène de crime.



Ce bûcheron géant se situe juste en face de la boutique d'antiquités Golden Memories dont le père de Desmond G. Blur est propriétaire dans le roman

Nous arrivons à Flagstaff, et la température de baisser radicalement au thermomètre. La ville est située à 130 km du Grand Canyon, à 2100 m d'altitude. Le paysage est beaucoup plus arboré (pins ponderosa), on se croirait dans les alpes. L'air y est particulièrement pur. Nous arrivons sous une averse et pour la première fois depuis longtemps, nous remettons les gilets en sortant de la voiture.


Vieux motel toujours en activité, à Flagstaff


Nous avons choisi de nous arrêter pour déjeuner dans une chaîne que nous apprécions: Quacker Barrel Old Country. Beaucoup de monde ce jour-là, des familles sont de sortie avec les grands-parents.

Pour patienter, des petits pains chauds et brioches salées et sucrées sont servis (photos tirées du site)


On nous trouve un table, mais Gaston est particulièrement insuportable. Il ne tient pas en place, s'empare de la salière assaisonne sa soeur, empile les flacons de ketchup et de moutarde. Pour finir, une serveuse renverse un broc d'eau glacée sur nos pieds sous la table. Je tente de rester zen, retient mon souffle, mais dedans, ça se noue sévère. Pierre, fasciné par la ville, le visage tourné en direction du parking, semble perdu dans ses pensées, presque amorphe, comme absent et en retrait du capharnaüm que son fils et la serveuse viennent de mettre. Ses espadrilles sont trempées, il ne s'en aperçoit pas encore. Pierre m'inspire: il me semble voir poindre derrière lui l'ombre du personnage du roman, Pierre Lombard, cet homme qui devient, au fil de la route, fantôme, étranger à lui-même, au bord de la rupture. En ce qui concerne mon mari, rien de tout cela, no pathos: juste du bien-être, et ce côté léthargique du conducteur d'une voiture avec boîte automatique qui se laisse bercer par la route des heures durant.

En sortant, Gaston essaye tous les rocking-chairs sur la terrasse (photo tirée du site)

Sur le parking, le parfum des pins nous ravit : la tentation est grande de se dire "tiens, et si on venait habiter dans le coin?" La visite des boutiques d'antiquités de la ville, répertoriées par Pierre - on lui a donné toute une liste dans un premier magasin - nous occupe presque deux heures, on se perd un peu (son plan n'est pas top), mais la pluie s'est arrêtée et on prend l'air, fenêtres ouvertes. Annette, vannée, se force à faire des photos. Il faut dire qu'elle a beaucoup donné hier.


un magasin d'antiquités où Lola viendra enquêter sur son mari

(Cette recherche de boutiques d'antiquités va faire naître une idée dans la roman et sera reprise au compte du personnage de Lola. Je découvre même un magasin minuscule dont je ferai, plus tard, la boutique du père de Desmond: Golden memories, sur Milton road. Pierre y achètera plusieurs bricoles.)

Le temps file. On reviendra à Flagstaff. On adorera revenir. Pas comme Lola dans le roman. Pour l'instant, direction Sedona. Ma récompense. A cet instant, je suis comme un enfant auquel on a promis un cadeau de longue date et qui attend devant la porte que le facteur sonne pour l'apporter.


 

Nous descendons la route qui relie Flagstaff à Sedona (elle nous éloigne de la 66) et qui passe par un col avant de se dérouler, ruban de velours gris, dans Oak Creek Canyon dont il sera beaucoup question dans le roman. Lola Lombard et Desmond G. Blur seront amenés à prendre souvent cette route...


Sedona

Nous arrivons à l'hôtel Best Western Plus Inn avant le coucher du soleil.

           


Des odeurs de terre rafraîchie par la pluie et de conifères. La chambre est superbe, Annette se sent tout de suite moins flapie. Répartitions des lits, on va sur la terrasse admirer la vue avant de s'offrir à la piscine chauffée et au jacuzzi. Etonnement, nous n'avons pas de photo de l'hôtel. Un peu crétin, non? Heureusement, google save me, as usual.



(photos tirées du site)



vues de la terrasse ( photo du site)

Je passe un des moments les plus doux, apaisant et magique.
Je suis au bord des larmes, la fatigue qui se répand en moi avec sa cavalerie de tensions nerveuses et musculaires depuis le début du voyage se mue en langueur. L'eau de la piscine est une caresse, la vie va mieux, bien mieux. De ce moment, je ferai "un lit" à Desmond, une scène (son arrivée à Sedona) en échos à ma propre expérience de la parenthèse merveilleuse qu'est cette ville sur la route.
Je ne suis pas la seule à être touchée par la grâce d'autant que Sedona nous offre son spectacle favori: un chatoiement de ses roches dans le soleil couchant.

(photo du site)

J'ignore que ce moment est important, crucial pour le roman: c'est là que la décision est prise d'installer Desmond à Sedona et non à Flagstaff ou à mi-parcours de la route 66, comme je l'avais d'abord pensé. Sur la carte routière, nous ne trouvons pas trace de la ville fantôme Jerome que j'avais visité lors de ma venue dans la région il y a 11 ans. C'est la seule ombre au tableau pour la soirée. Je me renseignerai demain à l'accueil de l'hôtel.

Quartier de l'uptown 

Nous dînerons en ville, dans le quartier touristique, au Thaï palace dans l'uptown, là  où Lola ira avec ses enfants. Gaston fait le clown, comme d'hab, mais c'est supportable. Il faut juste l'empêcher de taper sur le gong derrière nous toutes les 5 minutes. A l'hôtel, on nous a remis de nombreux bons de réductions et magasines d'information sur la ville et ses environs. Les activités (visites du parc forestier, baignades en rivière, vol en montgolfière, excursion en 4X4...) ne manquent pas. Cette documentation me sera bien utile pour occuper les enfants de Lola durant leur séjour à Sedona. S'y trouve même le Sedona magazine avec l'horoscope du mois. Ces mêmes horoscopes deviendront les têtes de chapitre du roman, comme des indices ou des clés proposés au lecteur.
Pour nous, hélas, faire du tourisme à Sedona n'est pas envisageable. Bien que nous ayons décidé de poser ici nos valises pour deux nuits (un luxe, l'hôtel n'est pas donné), on ne peut pas trop tarder, sinon, on devra zapper Las Vegas - et là, Annette ne serait pas d'accord.






Durant la nuit, je réfléchi au roman, élabore le profil de mon personnage principal, Desmond G. Blur s'ébauche. D'abord vieil homme acariâtre et malade, il devient une sorte de profiler retiré des affaires, qui donne quelques conférences à droite et à gauche entre deux publications, pour arrondir ses fins de mois.  Je n'ai pas encore son CV ni travaillé sa bio, j'ignore qui est son père, sa mère, sa famille, ses racines, je lance les premières lignes à l'eau, et je ne sais même pas quel est encore son vrai métier. Je l'imagine mal rasé (oui), le poil blondi par le soleil (éclairci, Desmond sera plutôt châtain au final), une sorte de croisement entre Willy Nelson et Robert Redford (euh, j'ai plutôt lorgné vers un autre acteur, celui auquel Gaston compare Desmond... a vous de le découvrir dans le roman), la soixantaine (là aussi, Desmond sera plus jeune, en fait, plutôt la cinquantaine) et les mollets musclés par de longues marches dans Red Rock State Park (oui). Le genre à vivre sans micro-ondes ni télévision et qui pêche dans la rivière en bas de chez lui (là, à ce stade de ma réflexion, il y a encore confusion entre Desmond et le personnage de son père, mais les choses vont s'affiner durant le mois d'août, quand je serai de retour devant mon bureau à Paris et que je pourrai réfléchir à tout cela).
Mais l'on peut dire que cette nuit-là, le rubik's cube s'est enclenché dans mon cerveau.
Il était temps.
Sedona's miracle.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire